MANTES-LA-JOLIE : un nouveau départ avec Piumi ?

Mantes-la-Jolie. - Rappelez-vous : Florence le 5 mai 1962, la « Squadra Azzura » prépare la phase finale de la Coupe du Monde au Chili en recevant la France, déjà éliminée par la Bulgarie.

Les Italiens, largement favoris, n'ont après 22 minutes de jeu, encore pu percer la défense tricolore, lorsque, à la surprise générale, le nouveau capé au poste de demi-gauche, J.-C. Piumi, décoche au terme d'un contre un tir croisé du gauche sous un angle très réduit qui surprend Buffon, signant ainsi son entrée en équipe de France, avant que José Altafini ne renverse le score en crucifiant deux fois l'autre néo-capé, le rondouillard gardien nancéen Ferrero.

On reverra Piumi en 1963 contre la Suisse, puis il subira un longue éclipse internationale jusqu'en mars 1967, date à laquelle Just Fontaine prend la direction de l'équipe nationale. Justo a ses idées (qu'il a gardées au contraire de tant d'autres) sur le football tel qu'on doit le jouer, et choisit les hommes aptes à les appliquer : la défense en ligne que Domergue fait jouer à Valenciennes lui fournit tout naturellement ses arrières centraux Piumi et Provelli. Sous cette clé de voute, l'équipe de France fournit ses deux matches les plus prometteurs depuis... 7 ou 8 ans, mais jour de malchance : Provelli est blessé au genou contre la Roumanie, puis les montées simultanées de De Michèle et Le Chenadec contre l'URSS mettent la seconde période sous le signe de la ligne brisée que Streltzov exploitera au mieux, après une première mi-temps enthousiasmante des Français.

Après une carrière bien remplie, le limogeage inique de Fontaine ayant sonné le glas de sa présence internationale, l'homme de Giraumont, l'an dernier encore entraîneur-joueur à Saint-Raphaël, est venu se fixer dans la région parisienne où, moniteur d'éducation physique, il a pris en mains les destinées de l'A.S. Mantaise qui évolue en Honneur régional, cette division « intermédiaire » qui fut créée il y a quelques années pour canaliser les très nombreux clubs de la Ligue de Paris issus de la Promotion d'Honneur et permettre à la Division d'Honneur de ne comporter qu'un seul groupe. 12 clubs par groupe, dont 1 élu à la fin de la saison.

UN PUBLIC A RECONQUERIR

Jadis frontière excentrée de la ville, le très beau stade Jean-Paul David est maintenant le trait d'union entre le vieux Mantes, qui vit à l'ombre de la Collégiale et de la tour Saint-Maclou et la ville nouvelle du Val-Fourré, immense quartier dortoir qui a condammné la forêt de Rosny.

Un public potentiel considérable, mais les tribunes sont encore médiocrement garnies. Plusieurs explications à cela : la concurrence écrasante du voisin de Division II Mantes-la-Ville, qui attire les amateurs de football de toute la région ; la sacro-sainte promenade en voiture dominicale, détente favorite des habitants du Val-Fourré qui, presque tous, travaillent toute la semaine à Paris ; enfin la section football de l'A.S. Mantes n'est pas encore, loin s'en faut, la plus florissante de ce grand club omnisports, la vedette revenant au handball, dont l'équipe brille en Nationale II, au rugby dont le XV a décroché cette année un titre de champion de France, à l'athlétisme, le Mémorial Syrovatski présentant chaque année un plateau de choix.

Piumi a donc une belle carte à jouer pour rendre au onze de l'A.S.M. sa popularité d'antan. « Les gens reviendront cet hiver, quand il fera trop mauvais pour sortir la voiture » nous ont dit les responsables des 11 équipes, 7 de jeunes et 4 de séniors.

PRESIDENCE COLLEGIALE

Piumi a pris la succession de Nadir Drama, parti pour Villeneuve-Saint-Georges et dont le départ ne semble pas avoir fait naître chez certains dirigeants des regrets inconsolables. « Avec lui, c'était l'improvisation, il s'agissait avant tout de ne pas en prendre », nous a dit l'un des présidents, M. Kreitz, nous parlant du neveu de Firoud et apportant une nouvelle illustration du dicton « Bon sang ne peut mentir ».

L'un des présidents, avons-nous écrit, car à M. Eckeloo se sont joints cette année trois autres membres d'une direction désormais collégiale, aucune décision n'étant prise par une seule personne sur le plan de la gestion du club, alors que J.-C. Piumi a toute confiance et tous pouvoirs en ce qui concerne la formation de l'équipe et la méthode de jeu.

Les responsables considèrent que cette saison doit servir à restructurer le club, à repartir quasiment de zéro, en appliquant une méthode de jeu autre que le béton de Drama qui avait eu pour effet de vider complètement les gradins, à donner enfin à la section une assise morale basée sur des contacts humains nettement améliorés. Tous ces objectifs sont prioritaires. La montée ? On y pensera surtout la saison prochaine.

De jeunes espoirs régionaux nous ont confirmés que l'ambiance était effectivement sympathique. « Ici, au moins, on ne se fait pas injurier ni couvrir d'insultes racistes », disent-ils, forts d'expériences décourageantes dans des clubs voisins.

LES DEUX VISAGES DE l'A.S.M.

Quant au jeu pratiqué par l'A.S.M., il est encore aussi fragile que peuvent l'être les déclarations de Piumi à ce sujet, mais ce que nous avons vu lors de la venue de la solide formation de Paris-Alésia était loin d'être sordide, notamment lors d'une première période où le souci de construire, d'occuper rationnellement le camp adverse en passes courtes sans trop céder à la frénésie et à la tentation du jeu trop direct en profondeur sous la baguette des demis, Piumi lui-même et Salvary, prouva que l'A.S.M. a tout pour présenter un spectacle sympathique.

Cette première victoire qui hisse l'A.S.M. à la troisième place à 3 points des leaders l'A.C.B.B. et Trappes, après cinq nuls consécutifs (et deux succès en Coupe de France contre Conflans et Cormeilles) doit être suivie de beaucoup d'autres, si l'A.S.M. prend confiance et joue tout un match comme elle l'a fait pendant une heure, présentant d'abord un visage prometteur puis, la crainte d'être rejointe à nouveau in-extrémis et de concéder un nouveau nul faisant son œvre, se repliant massivement à l'image de Piumi et Salvary (affaibli par une contracture) et permettant à l'adversaire de mener à son tour le jeu et de ramener très justement le score à 1-2. De la contre-attaque pure et simple, les hommes de pointe Skropeta, Fourneret et l'ex-Sangermenois Carré n'étant plus alimentés que par des fusées venues de loin. Une mi-temps Jekyll, une mi-temps Hyde. Une prise de confiance devrait remédier à cette fâcheuse et... dangereuse tendance.

DES JOUEURS DE VALEUR

Avec dans les buts le retour de Robert Filliol, longtemps titulaire du poste au CAMV, qui avait pour un temps délaissé la balle ronde pour la « petite reine », dont l'expérience donne confiance à ses partenaires, ou le souple transfuge de Red-Star Da Silva, les très bons arrières centraux Trochu, qui décroche un peu trop vite, et Charpilienne, très fin technicien, longtemps titulaire en défense centrale de première B du CAMV, encadrés par Piazza et Thébault, avec un milieu « technique », tenu par le pied gauche de Piumi et le clairvoyant Salvary, excellent lorsqu'il ne cède pas à la tentation de « balancer », qui sait calmer le jeu à bon escient, la relance se fait sur de très bonnes bases collectives. Mais l'efficacité n'est pas souvent au rendez-vous, il manque manifestement un réalisateur pour parachever les mouvements offensifs. La rentrée d'Arnal après six matches de suspension ne peut qu'être bénéfique à la coordination et à la vitesse d'exécution ; l'ex-joueur (encore un) de Mantes-la-Ville, qui n'a que le tort de répliquer trop vivement aux agressions, peut, par sa technique sans faille et ses ouvertures, tirer un meilleur parti des qualités de perçant de l'avant-centre Fourneret.

Quand on aura ajouté que les réserves du club contiennent des jeunes comme Prieur ou le sympathique médecin Georges Race, dont les conceptions de jeu prouvent qu'il se préoccupe également de soigner la santé offensive de son sport favori, on aura presque fait le tour des possibilités en effectifs qu'a Piumi de monter une formation de valeur.

VERS LA DEFENSE EN LIGNE

Mais ses déclarations ne laissent pas d'inquiéter quelque peu : « Je suis partisan d'un système de jeu avec couverture. La ligne ? A Valenciennes, elle était trop systématique, nous étions quasiment robotisés. Si les résultats sont bons, peut-être l'A.S. Mantaise y viendra-t-elle. » Inquiètudes de l'entraîneur qui prend en main une équipe et veut « assurer le coup » avant de tenter l'aventure tactique, alors que l'équipe n'avait avant son arrivée aucun système de jeu bien défini ? Reniement, espérons-le provisoire, des principes qui lui ont valu en 1967 un retour mérité sur la scène internationale ?

Piumi a, en quelques mois, refait de l'A.S. Mantaise une équipe de football. Est-ce déraisonnable de souhaiter la voir sous peu une équipe de TRES BON football ?

Philippe COQUELLE

Article paru dans Miroir du Football numéro 208 du 10 janvier 1974. Merci à Alain pour la photo.