Chapeau Mulhouse. Chapeau Valence. Ce tour de Coupe a été le leur. Le sera-t-il toujours ce soir, avec la seconde manche de ces seizièmes de finale ? On peut le penser pour Mulhouse, qui s'est assuré un net avantage sur Brest, grâce à trois buts d'un inconnu nommé Bouafia. Pour Valence, il sera plus difficile de préserver son but d'avance à Marseille, mais la soirée de vendredi restera gravée dans les mémoires. Comme les Havrais se souviendront avoir malmené le Paris-SG. Comme Mantes, le cendrillon, se souviendra avoir fait un bien joli voyage.

Bye-bye jolie Mantes

(Jean-Marie LANOË)

« Etranger, toi qui pénètres dans notre territoire, prends garde où tu mets les pieds. Ici, il y a Mantes-la-Jolie et Mantes-la-Ville. Si tu les confonds, ton compte est bon. » Evidemment, il n'y a pas de panneau de ce genre à l'entrée de la ville, mais il faut, en préambule, expliquer une chose. Mantes n'a pas deux clubs : le CA et l'AS. Il y a deux villes : Mantes-la-Jolie, dont le club est l'AS. Et Mantes-la-Ville, alias le CA. Voilà. Et si l'on a quelque peu plaisanté jusqu'ici c'est que, aujourd'hui, la rivalité quasi ancestrale des deux « grandes puissances » du coin s'est passablement estompée. Plus la fin du siècle approche, et plus les querelles de clocher disparaissent, aplanies, semble-t-il, par une sorte de gigantesque rouleau compresseur culturel.

Mais, enfin, on n'est pas sûr que le CA se réjouisse prodigieusement des grands titres qui sont l'apanage de l'AS. TV, radios locales, presse écrite, Max Gouju, l'entraîneur mantais, avouait avant la rencontre ne pas trop savoir comment lui et ses joueurs auraient digéré cette notoriété galopante. Car, évidemment, lorsque la Coupe tient son Cendrillon, elle ne le lâche plus. Ou le plus tard possible.

Pour aller au bal, celle-ci a dû suivre un drôle de parcours qui débuta lors du deuxième tour, ce qui nous ramène au mois de septembre. Voici la liste des victimes : Groslay, Trappes, Le Vésinet (après prolongation), Ezanville, Versailles, Evreux (Division III), Avon (le Cendrillon de l'époque), et enfin le SO Maine (Division III) après prolongation. L'AS Mantes-la-Jolie venait d'écrire là ses plus belles lettres de noblesse. Pour la première fois de son existence, le club accédait aux seizièmes de finale de la Coupe de France. Car le palmarès de l'AS ne vaut certes pas celui de son rival tout proche. On note tout au plus un trente-deuxième de finale perdu en 1977 contre La Rochelle. Question Championnat, les Mantais connurent trois saisons la Division IV, échouant pour la montée en 1978 au goal-average. Le Stade Français, lui, montait en Division III.

DANS L'OMBRE DU VOISIN

Pendant ce temps, le CA, lui, connaissait les joies de la Division II de 1971 à 1976. Avec, dans ses rangs, Max Gouju, l'actuel entraîneur de l'AS, avec Jean-François Beltramini aussi, pendant les premières heures de gloire... C'est dire qu'un parcours comme celui des Jaunes égaye sérieusement la vie quotidienne d'un club qui, comme tous ceux de la banlieue parisienne, ne peut tabler sur un enthousiasme populaire délirant. Bernard Boucher, le nouveau président, explique : « La Coupe, c'est ce qui est le plus susceptible d'amener du monde au Stade. Car, en Championnat, on ne peut compter que sur une moyenne de deux cents spectateurs environ. Au niveau des amateurs, la Coupe, c'est le seul truc qui puisse provoquer un déclic populaire. Même deux accessions consécutives ne parviendraient pas à un tel résultat. On n'a pas de clubs de supporters. L'an prochain, peut-être... »

Et puis, il faut bien aborder l'aspect financier d'un club parisien : l'ancien président, M. Kreitz, mais toujours trésorier du club, lance quelques chiffres : « La municipalité vote une subvention à l'AS Mantaise. Mais c'est une manne qui tombe pour le club omnisports. On nous en redistribue ensuite une certaine partie. Au total, nous recevons 270 000 F par an. Alors, nous sommes obligés de jouer les petites sœurs des pauvres pour vivre normalement. Le chiffre nécessaire ? 600 000 F... » Et comme si le tableau n'était pas assez sombre, le trésorier, mais c'est son rôle, ne se gargarise surtout pas des éventuelles bonnes recettes procurées par la Coupe. « Il y a eu pas mal de frais : barrières, aménagements des vestiaires, etc. Il m'étonnerait que la surprise (financière) soit très bonne. »

Mais il n'y a qu'un seul trésorier et tous, M. Kreitz compris, se félicitent du parcours accompli. Et souhaitent que la fête soit réussie...

LA FÊTE

De ce côté-là, ce fut une complète réussite. Avant la rencontre, Max Gouju avait un souhait : « Même si on perd ce match, je voudrais qu'il soit très bon, afin que nos supporters soient récompensés. Afin que la région participe à une véritable fête du football. » Près de dix mille spectateurs avaient, par un bel après-midi, envahi le stade Jean-Paul-David — l'ancien maire qui donna son nom au complexe sportif durant son mandat. Certes, ils n'attendaient pas l'exploit de leurs protégés, car ils savaient bien qu'à ce stade de la compétition on ne peut raisonnablement attendre de miracle d'un club de Division d'Honneur, face à une équipe pro — Sochaux — réputée pour son sérieux.

Mais, pendant une mi-temps, l'espoir fut soigneusement entretenu. Les Mantais se créèrent même les occasions les plus franches. Ils jouaient avec leurs moyens, se battant comme des... lions, couraient, sautaient, tiraient comme si leur vie en dépendait. Tous sont à citer. Et les spectateurs leur en étaient reconnaissants. Ensuite les jambes devenant lourdes, les Sochaliens firent admirer leur maîtrise technique, applaudis par des connaisseurs.

3-0. Mantes tombait les armes à la main et c'est tout ce qu'on lui demandait. Max Gouju : « Je ne suis pas déçu. Mes joueurs le sont un peu plus, car il n'y avait pas corner. Agerbeck l'a tiré et Sauzée de la tête a marqué. Dès lors, il n'y avait plus de match. » Mais la fête pouvait continuer. Les Haricots Rouges, orchestre de jazz bien connu, venait la poursuivre dans les vestiaires et tous, du maire de Mantes-la-Jolie à l'entraîneur des Sochaliens, Sylvester Takac, notaient le bon esprit qui avait soufflé sur la rencontre. Avant, pendant et après, M. le maire, M. Picard, se félicitait de la prestation de ses « administrés » : « On sait aujourd'hui que Mantes-la-Jolie existe. Une ville moyenne de 50 000 habitants peut obtenir de bons résultats à l'échelon national. » Et lorsqu'on sait que Mantes est sur les rangs des prochains Jeux Olympiques de 1992 — il y a ici un bassin olympique —, on imagine les espoirs de ceux qui font vivre le club omnisports. M. Vignola, président d'honneur du club, devait ajouter : « Nous comptons dans nos rangs un vice-champion olympique, champion du monde à Belgrade en 1982, Patrick Le Foulon, en canoë-kayak. Les jeunes ont montré qu'une ville de banlieue parisienne était capable de faire quelque chose de bien. C'est très encourageant. » Avant la rencontre, le même M. Vignola nous avait dit sa joie de voir les neuf équipes de jeunes de l'AS Mantes briller tous les dimanches.

RIVAUX ET AMIS ?

Mais maintenant que bouteilles et papiers gras jonchent le stade, maintenant que Cendrillon s'apprête à se faire belle pour sa dernière sortie, il faut bien penser à retrouver le train-train du Championnat. Et celui-ci passe d'abord, ironie du sort, par le grand derby AS Mantes-CA Mantes. Mais au fait, il était intéressant de savoir comment l'ennemi héréditaire avait supporté les instants glorieux de son presque homonyme. Réponse de l'entraîneur d'en face, Gery : « Ça fait deux ans que j'entraîne le CA et je n'y connais pas les rivalités dont on avait parlé. Il faut dire que je vois tout cela d'un œil neuf. La rivalité est toute sportive. Les trois derbys que nous avons disputés se sont toujours déroulés dans d'excellentes conditions. Le parcours des joueurs de l'AS Mantes est exceptionnel et mérite bien tout le déploiement des médias. On aurait bien sûr souhaité accomplir un parcours semblable. En attendant, je leur tire un grand coup de chapeau et j'étais leur premier supporter. En définitive, leur coup d'éclat rejaillit sur toute la région. »

Alors on est bien loin de toutes les dissensions qui, dans les années 50, provoquèrent la scission CA Mantes-AS Mantes. M. Vignola, vitrier de son état, et dont la devise est « les républiques passent, les vitres restent », se souvient : « J'ai vraiment vécu des derbys sanglants. Nous étions interdits de séjour, « de l'autre côté... » Il y a eu longtemps une barrière. Le CA nous faisait un peu d'ombre... » Peut-être l'arrivée de Max Gouju, qui jouait, on l'a dit, autrefois au CA, a-t-elle aplani les choses. Peut-être aussi le chômage, qui fait rage dans une région toute dévouée à l'industrie automobile, Ford à Mantes, Talbot à Poissy, pas loin, a-t-il déplacé les centres d'intérêt ?

Les clubs amateurs doivent offrir du travail aux joueurs qu'ils recrutent. Et cela devient de plus en plus délicat. Kader Isly, par exemple, qui jouait arrière gauche samedi après-midi, est sans emploi. Pas facile d'entretenir une flamme dans ces conditions, à fortiori, lorsqu'on aimerait viser la Division IV. Car une ville comme Mantes-la-Jolie, 50 000 habitants, peut viser plus haut que la Division d'Honneur. Elle lorgne à ce titre vers Saint-Leu, 20 000 habitants, qui peut tabler sur 1 000 spectateurs de moyenne. Une exception à la morosité parisienne qui en fait saliver plus d'un. Mais au fait, si l'AS Mantes veut remonter, il lui faudra se débarrasser du CA...

Au fait, on peut lire, dans le Larousse, que Mantes-la-Ville est la banlieue de Mantes-la-Jolie. Ça y est, ça recommence...


Krause tape dans le tas. On ne sait jamais, ça peut rapporter gros. (Photo André LECOQ).

Merci à France Football (12 mars 1985) pour l'article et à Fanch G. pour le scan.